L’été « Canada Dry »

Pour reprendre le slogan publicitaire de la célèbre marque de soda : « Ça a la couleur de l’alcool, le goût de l’alcool… mais ce n’est pas de l’alcool. »  Les économies américaines et européennes connaissent un niveau de plein emploi quasiment inédit. Les marges des entreprises sont sur des plus hauts historiques, les carnets de commandes plutôt bien garnis, des plans de relance financent l’industrie des semi-conducteurs et des nouvelles technologies mais, aussi, l’épargne des ménages reste conséquente. Bref, ça a la couleur de la croissance, le goût de la croissance…pourtant ce n’est plus de la croissance !

Le cœur a ses raisons…

La zone euro vient de rentrer en « récession technique » puisque le PIB publié pour le premier trimestre est finalement en recul de -0,1% alors qu’il était déjà négatif au quatrième trimestre 2022. Certes, la réduction des stocks dans l’industrie manufacturière a pesé sur la croissance mais pour sauvegarder leurs marges, les entreprises ont tapé fort, en augmentant massivement leurs prix. Les ménages n’en peuvent plus ! Les économistes se réjouissent de la « désinflation joyeuse » car la hausse des prix progresse moins vite que prévu… mais ils augmentent toujours. Cette inflation « cœur » (hors énergie, alimentation, alcool et tabac) reste au-dessus des 5% et conduit la BCE à se montrer inflexible dans ses prochaines remontées de taux directeurs.

 

 

Psychodrame & happy end

Aux États-Unis, l’interminable recherche d’un accord entre les Républicains et les Démocrates sur le plafond de la dette a créé un stress énorme sur le marché obligataire. Psychédélique : début mai, le marché s’était convaincu que l’Amérique serait en récession au deuxième semestre, anticipant à 99% la probabilité que la FED baissera ses taux. Trois semaines plus tard, un accord a finalement été trouvé pour réduire les dépenses de l’État Fédéral de 1300 milliards de dollars ce qui ponctionnera la croissance du PIB de 0,3% par an. Maintenant, les anticipations de baisses de taux en fin d’année se sont effondrées à 30%…Une fois n’est pas coutume, les banques centrales mènent la danse. Le manque d’acuité génère de fortes variations sur le marché obligataire. Le sentiment que la FED a achevé son cycle de resserrement monétaire alimente l’appétit pour les valeurs de croissance.

 

 

Bulle intelligente ou bulle artificielle ? 

Les investisseurs se réfugient sur les actions. De nombreux indicateurs affichent qu’ils n’ont plus peur : le niveau des positions « shorts » et de la volatilité du S&P500 est au plus bas et l’indice CNN Fear&Greed marque une confiance presque absolue pour la poursuite du mouvement de hausse. La ‘’GAFAMania’’ fait rage, portée par la thématique de l’intelligence artificielle. Les 7 méga-techs américaines ont, à elles seules, porté les indices américains sur le mois de mai, pour ne pas dire depuis le début de l’année.

La crise Covid a accéléré la digitalisation dans tous les secteurs. Maintenant, l’intelligence artificielle est appelée à leur faire gagner d’énormes gains de productivité. Mais attention, la substitution du capital humain par la machine va pressuriser les coûts, engendrant de nouvelles pressions déflationnistes. Ce nouveau casse-tête pour les banques centrales sera certainement à l’ordre du jour ces prochaines années. Mais pour l’heure, ne boudons pas notre plaisir de voir rebondir les marchés américains sans pour autant avoir une vision manichéenne des grands gagnants boursiers de l’IA. Le monde réel est un peu plus subtil que cela.

 

 

Achevé de rédiger le 13/06/2023

Guillaume Di Pizio