Le capitalisme européen survivra-t-il aux vicissitudes politiques ?
Comme dans le « Duel au gourdin » de Francisco de Goya, les débats politiques se sont transformés en d’interminables pugilats où chacun s’enfonce dans ses positions sans s’en apercevoir, comme si la lutte elle-même importait plus que la cause.
Le débat public est devenu d’autant plus pauvre que les médias préfèrent orchestrer des psychodrames avec des larmes et de la sueur, plutôt que de s’attaquer aux vraies questions de fond qui fâchent. Si les désaccords sont l’essence même de la politique, ils revêtent aujourd’hui une dimension toute particulière en évoquant un système à bout de souffle sans pouvoir proposer d’alternatives raisonnables. Cette situation bouleverse progressivement tous les pays de notre vieille Europe avec comme dénominateur commun une croissance nominale du PIB qui s’étiole, une dette qui se creuse, une perte de compétitivité, une insatisfaction des services publics essentiels : santé, éducation, justice, sécurité sociale, transports publics, défense…
La liste des causes qui ont conduit à ce déclin est longue, elle s’articule notamment autour :
– de crises économiques récurrentes en Europe qui ont fragilisé le système financier pour déboucher sur des excès de régulation ainsi qu’une perte de souveraineté énergétique, industrielle et technologique ;
– de la montée de la précarité sociale avec une perte de sens de la valeur « travail », où le modèle de consommation effrénée alimente l’idéologie écologique ;
– des dysfonctionnements de la gouvernance européenne dont la guerre en Ukraine fragmente chaque jour un peu plus la cohésion.
L’hégémonie européenne s’est progressivement effacée au profit de l’exceptionnalisme américain :
Mais l’urgence est portée sur le niveau de la dette dont les dérapages après la crise Covid questionnent. « Moins de dettes » ou « mieux de dettes » ? C’est le cœur du débat en Allemagne : Faut-il continuer à rembourser la dette au détriment de l’investissement et de l’écologie ou bien faut-il financer la croissance future ? Alors que le ratio de dette/PIB allemand n’est que de 60% (contre 112% pour la France) la cour constitutionnelle de Karlsruhe avait invalidé la dépense des 60 milliards provisionnés pendant le covid alors qu’ils étaient destinés à l’écologie, pour finalement contribuer remboursement de la dette. A l’heure où la guerre commerciale fait rage et où l’industrie automobile doit se réinventer, le pays doit retrouver de nouveaux débouchés.
De son côté, la France se distingue en cumulant un déficit primaire et une dette excessive, avec un déficit budgétaire de 6,1%. Au-delà de la lourde charge pour le premier ministre de combler le déficit de 60 milliards d’euros, il est indispensable de trouver des réformes permettant d’infléchir la trajectoire de la dette. Les réflexions sont axées sur le renforcement de la pression fiscale plutôt que sur la réduction du train de vie de l’Etat. Et si la France était finalement réformable en trouvant une « élite politique » qui aura le courage d’appliquer une vision à plus long terme qu’un quinquennat. Il faudra revisiter la politique de l’Offre quitte à sacrifier une partie de l’électorat.
Avant la grande crise financière de 2008, le PIB de l’Union Européenne rivalisait avec celui des Etats-Unis, aujourd’hui il ne représente que 54% de celui de son équivalant américain et le revenu d’un européen est presque deux fois inférieur à celui d’un américain. La perte de productivité est colossale et les européens ont choisi dans l’ordre : 1- de réguler, 2- de rembourser une partie de la dette, 3- de sacrifier une partie de son industrie.
Le retard pris sur la révolution de l’intelligence artificielle est gigantesque face aux entreprises américaines qui ont au moins dix fois la puissance de financement pour la recherche et développement que les autres pays. Ironie du sort, le coût de la transition écologique pèse de plus en plus lourd sur les épaules de nos enfants. Il faudra 5 points de PIB par an pour la financer et ces capitaux devront venir de l’épargne privée compte tenu de l’état d’épuisement des budgets, ne permettant plus à la puissance publique de jouer son rôle. La BCE interviendra en dernier ressort, pour voler au secours des Etats qui n’arriverait plus à se refinancer sur les marchés financiers. Mais les appels de Christine Lagarde ont été clairs, elle ne laissera pas faire des dérapages budgétaires « sans limites » aux gestions souveraines dilettantes.
Sur les marchés, les incertitudes politiques qui pèsent sur la France et Allemagne ont gangréné la confiance des consommateurs. Les flux d’investissements ont déserté l’Europe pour être arbitrés sur les Etats-Unis. Les investisseurs se sont rués massivement sur les thématiques « Make America Great Again » : Energie, Dérégulation, Reshoring, Consommation domestique et Medicare afin de s’exposer aux sociétés dont la baisse du taux d’Impôt (IS) favorisera les marges des entreprises américaines.
En Europe, les tensions géopolitiques et les anticipations de guerre commerciale sont déjà bien intégrées dans les cours, une étincelle de bonne nouvelle pourrait contribuer un réduire certaines décotes. La France a été particulièrement sanctionnée. L’attention doit être portée sur les sociétés européennes qui produisent aux Etats-Unis et/ou qui exportent en Chine (appelée à déployer un plan de relance massif).
Mais l’Europe n’a pas dit son dernier mot. Pour citer Jean Monnet « Les hommes n’acceptent le changement que dans la nécessité et ils ne voient la nécessité que dans la crise ». Sa richesse est de pouvoir reconstruire dans la perfection de l’art une cathédrale qui avait pris 107 ans à être édifiée, de pouvoir incarner les fleurons du luxe, de l’aéronautique, du nucléaire, la santé, l’automobile et tant d’autres.
L’Europe devra choisir ses combats en s’adaptant au nouvel ordre économique mondial. Fort de 450 millions de consommateurs, l’Union Européenne représente un marché dont aucune nation ne peut se priver. La planche de salut portera sur la capacité à faire retrouver la place du Politique et d’un minimum de cohésion pour ne pas rester entre le marteau et l’enclume des tensions sino-américaines.
Achevé de rédiger le 10 décembre 2024 par Guillaume Di Pizio