Des charrues et des bœufs

Il n’aura échappé à personne que les indices actions ont atteint des niveaux historiquement élevés. Les marchés auraient-ils déjà intégré les bienfaits de l’assouplissement monétaire des Banques Centrales ? Attendu pour mars, puis pour juin, qu’importe, le mouvement de baisse des taux directeurs va s’enclencher, ce qui est une bonne nouvelle pour les sociétés. Et s’il arrive encore plus tardivement…c’est que la vitalité économique était au rendez-vous, ce qui profitera toujours aux entreprises !

Les investisseurs (et robot-investisseurs) se sont concentrés sur quelques thématiques jugées les plus porteuses, à savoir :

  • L’Intelligence Artificielle, pour jouer une révolution attendue, notamment en termes de gains de productivité.
  • Le combat contre l’obésité, car plus d’un milliard d’individus pourraient réduire leurs risques sanitaires.
  • Le nouveau visage de l’industrie, où l’explosion des dépenses militaires, plus d’une décennie de carnets de commandes dans l’aéronautique et le renouvellement du parc automobile, offrent des perspectives alléchantes.

Résultat, la performance des indices s’est disloquée par l’engouement effréné de ces trois thématiques. L’indice iconique MSCI World, composé de 1600 valeurs, réalise depuis le début de l’année les deux tiers de sa performance grâce à la contribution de seulement 15 sociétés.

Ce phénomène perdure depuis presque un an, le marché serait-il à l’œuvre d’une construction de bulles ?

L’enthousiasme pour les sociétés de semi-conducteurs, afin de jouer l’avènement de l’intelligence artificielle, n’est pas sans rappeler la bulle spéculative des chemins de fer en 1847, où la révolution industrielle de la machine à vapeur avait transformé notre monde, tout comme l’ont fait les changements irréversibles d’internet au début des années 2000. C’est à ce moment précis que les investisseurs ont tendance à investir, sans discernement, sur les « vendeurs de pelles et de pioches » de cette ruée vers l’or. Le monde de la finance tourne toujours plus vite que le monde réel. Les velléités d’investissement dans les data-centers, les usines de semi-conducteurs, les développements d’intelligence générative, sont tangibles et même pléthoriques.

La société américaine NVIDIA a pris une telle avance technologique, qu’elle est devenue indispensable au traitement de données, au minage de cryptomonnaies, aux jeux vidéo, et au guidage des armes tactiques… à tel point, que pour répondre à la demande, elle a pu plus que doubler ses prix et tripler ses volumes. Alors que sa capitalisation boursière est passée de 500 milliards à 2200 milliards de dollars en un an, la valorisation du titre s’est complétement effondrée. Elle se paye 36 fois les bénéfices futurs, nous sommes très loin des 800 fois les bénéfices de Yahoo en 2000.

La thématique de la fin de l’obésité dans le monde a également focalisé l’attention des investisseurs. Les vertus d’un monde sans surcharge pondérale font rêver, pour réduire les risques de diabète, l’hypertension artérielle, les problèmes cardiaques, l’absence de prothèses, mais aussi, pour réduire les dépenses de sécurité sociale, augmenter la productivité en entreprise, pour changer de garde-robes, ou devenir « instagramable »… Les résultats de perte de poids pour les « coupes faim » sont édifiants. L’accroissement de la population sujette à la surcharge pondérale est malheureusement lié au phénomène de paupérisation. Comment imaginer que durablement les familles vont avoir les moyens, le temps et l’envie d’avoir une très forte exigence nutritionnelle ou de se passer des plaisirs culinaires toute leur vie ?

Le cours de bourse du laboratoire américain Eli Lilly proposant ce type de coupe-faim a vu son cours bourse s’envoler, car il est le seul, avec le Danois Novo Nordisk, à dominer cette situation de monopole. Pour autant, sa valorisation (en termes de PER) n’a jamais été aussi élevée.

Ne mettons pas la « charrue avant les bœufs » et percevons les acteurs dont les valorisations futures permettent de s’investir. La gestion thématique doit justement savoir distinguer les tendances de rupture des effets de mode. Le marché sanctionne avec violence toute déception sur les perspectives des sociétés. Les vertus ternies de la gestion active vont pouvoir de nouveau triompher.

 

Achevé de rédiger le 12 mars par Guillaume Di Pizio